L’Estonie est un pays d’Europe du Nord entouré par le golfe de Finlande, la mer Baltique, la Lettonie et la Russie. En 1991, elle a acquis son indépendance en se soustrayant de la tutelle de l’URSS. À partir de cette date, le pays va commencer à mettre en place une nouvelle politique afin de relancer son économie.
Alors que plusieurs solutions s’offraient au pays, ses dirigeants ont préféré s’engager sur la voie de la modernité en s’appuyant sur les technologies de l’information et internet, un domaine aussi nouveau que l’Estonie, a déclaré l’ancien président Toomas Hendrik Ilves. Ainsi, de nombreuses initiatives ont été lancées afin de mettre le pays au goût des technologies nouvelles. Par exemple lorsque le pays à court d’argent a dû remplacer son système téléphonique qui datait des années 1930, la Finlande a offert gratuitement un système analogique de la fin des années 1970. Mais Toomas Hendrik Ilves, l’ancien président du pays, a soutenu que le gouvernement devrait décliner l’offre et investir dans la technologie numérique.
Au-delà de cette réforme, Ilves, qui a grandi aux États-Unis et a été initié à l’informatique au collège, a également proposé d’initier enfants aux technologies plus tôt. Sur ces propositions, le gouvernement a commencé à construire des laboratoires informatiques dans les écoles. Les banques ont également suivi le pas en améliorant leurs infrastructures technologiques. Actuellement, plus de 99 % des transactions bancaires de l’Estonie sont effectuées en ligne.
Dans cette même dynamique, le pays s’est engagé dans un projet ambitieux visant à rendre l’administration du gouvernement entièrement numérique afin de réduire la bureaucratie, accroître la transparence et stimuler la croissance économique. Bien que de plus en plus de pays aient opté pour cette approche, l’expérience estonienne s’avère singulière, car l’État a vraiment poussé assez loin son projet de dématérialisation des services publics.
Si vous avez besoin d’une ordonnance, il ne faut pas chercher loin. Juste prendre son ordinateur, sa tablette ou son smartphone et se rendre sur la page conçue à cet effet. Vous avez besoin d’un permis de conduire. Ne vous attendez pas à vous rendre dans un bureau pour remplir les formalités d’usage. Une seule adresse est indiquée : se rendre en ligne sur la page officielle des services de délivrance des permis de conduire. Si vous venez d’être les heureux père et mère d’un nouveau-né, ne cherchez même pas à vous renseigner pour avoir l’emplacement d’un bureau des services municipaux assez proche. La déclaration de naissance se fait en ligne également.
Andrejs Lunde, un Estonien, et sa femme Olga qui viennent d’être papa et maman depuis quelques jours n’ont même pas eu à se déplacer de la maison pour déclarer leur enfant qui venait de naître. Après avoir inséré sa carte dans le lecteur de carte et s’être rendu sur la page dédiée, Andrejs Lunde a enregistré son enfant en quelques clics seulement.
Pour aller encore plus loin, le gouvernement envisage ce printemps de démarrer l’enregistrement automatique en sorte que lorsqu’un enfant naît, il est enregistré automatiquement par le système de l’État et ses parents reçoivent un courrier électronique de bienvenue pour le nouveau-né. Par ailleurs, pour ceux qui n’ont pas le temps de contrôler physiquement les travaux de leurs enfants, il est possible de les suivre sur la plateforme des écoles et vérifier si devoirs de leurs enfants ont été faits à temps.
Le pays pousse la hardiesse jusqu’à fournir des informations sur le carnet de vaccination des animaux. Lors d’une démonstration du système numérique, le responsable du projet, Indrek Onnik, s’est tenu à côté d’un grand écran illustrant son profil. Il a montré ses résultats au lycée d’il y a dix ans et ses dossiers de licence de plongée. S’il avait un chien, son carnet de vaccination y figurerait également. Les seules actions qui pour l’instant ne peuvent pas se faire électroniquement, ce sont les mariages, les divorces ou le transfert des biens. La raison évoquée est que le gouvernement a décidé qu’il était important de se présenter en personne pour les grands évènements de la vie.
Bien entendu, à l’heure où les données représentent une mine d’or aussi bien pour les entreprises privées, publiques que les tiers malveillants, la première préoccupation que pose cette numérisation de la société est la sécurité du système et les entités ayant accès à ces données. Cette question est assez importante d’autant plus que l’an dernier, le pays a dû suspendre 760 000 cartes d’identité numériques après la découverte d’une faille qui permettait le clonage d’identité. À ce sujet, le gouvernement estonien se veut transparent sur la question. Les citoyens peuvent contrôler leurs données et voir si des institutions publiques ou privées y ont accès.
Indrek Onnik soulignait lors d’un entretien que « pour générer la confiance, il faut vraiment de la transparence. Et c’est pourquoi les gens ont accès à leurs propres données et […] peuvent réellement voir si le gouvernement a utilisé leurs propres données ». Pour ce qui concerne la sécurité de la plateforme, les données sortantes sont numériquement signées et chiffrées, et toutes les données entrantes sont authentifiées et journalisées. À noter que la plate-forme s’appuie sur un logiciel appelé X-Road, un système d’échange de données décentralisé qui relie les bases de données des différents secteurs.
Vu les avantages que confère le basculement des services privés et publics vers le numérique, l’on pourrait se demander ce qu’attendent les grands pays pour suivre l’exemple. Aux États-Unis par exemple, l’État a également ouvert des services en lignes pour faciliter la tâche aux administrés, souligne un internaute. Toutefois, dans beaucoup de cas, il est demandé aux personnes de se rendre physiquement dans un bureau des services publics pour le service demandé. D’autres internautes notent également que certains services en ligne existent dans leurs pays, mais sont ignorés par les fonctionnaires ou ne fonctionnent pas du point de vue technique.
Pour Zvika Krieger, responsable de la politique technologique et des partenariats au Forum économique mondial, ce système n’est pas aussi abouti dans les grands pays, car « lorsque vous ajoutez plus de personnes, plus de parties prenantes diverses, plus de niveaux de gouvernement au niveau municipal, régional et local, vous ajoutez de manière exponentielle plus de complexité ». Il faut souligner que l’Estonie compte 1,3 million d’habitants. Comparée à l’Estonie, la Suisse compte plus de 8 millions d’habitants. La Belgique en compte 8,42 millions, le Canada en compte 36,71 millions et la France 67,12 millions. Basculer tous les services de l’Estonie reviendrait donc à basculer les services d’une seule ville des autres pays cités. Mais est-ce un argument pour justifier que la mise en ligne des services publics ne soit pas encore très avancée dans certains pays ?